Jeanne Moreau est morte à l’âge de 89 ans
La comédienne, chanteuse, actrice et réalisatrice Jeanne Moreau est morte lundi 31 juillet à l’âge de 89 ans, a annoncé son agent à l’Agence France-Presse lundi. L’actrice à la beauté sensuelle et à l’inimitable voix grave, qui a fasciné les plus grands réalisateurs au cours d’une carrière de soixante-cinq ans, a été retrouvée morte à son domicile parisien, a précisé Jeanne d’Hauteserre, maire du 8e arrondissement. Elle a été retrouvée par sa femme de ménage tôt lundi matin, selon plusieurs sources.
Née le 23 janvier 1928 à Paris d’un père restaurateur et d’une mère danseuse anglaise, l’inoubliable interprète de la chanson « Tourbillon » dans « Jules et Jim », de François Truffaut, a tourné dans plus de 130 films. Le président Emmanuel Macron a rendu hommage à « une artiste qui incarnait le cinéma dans sa complexité, sa mémoire, son exigence ».
« Il est des personnalités qui à elles seules semblent résumer leur art. Jeanne Moreau fut de celles-ci. (...) Sa force fut de n’être jamais où on l’attendait, sachant s’échapper des catégories où trop vite on aurait voulu la ranger. Telle était sa liberté, constamment revendiquée, mise au service de causes auxquelles elle croyait, en femme de gauche ardente, toujours rebelle à l’ordre établi comme à la routine. »
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Panthéon filmique
Jeanne Moreau passe une partie de son enfance à Vichy, avant de revenir s’établir avec sa famille à Paris, où elle achève ses études secondaires. A l’adolescence, elle se prend de passion pour le théâtre. A 19 ans, après le Conservatoire, elle fait ses débuts à la Comédie-Française, qui représente pour elle « la discipline, l’exactitude ». Un choix que désapprouve son père, qui la jette dehors.
Un antagonisme profond la sépare de son père, « un homme élevé par des parents du XIXe siècle » qui supportait également mal que sa femme lui échappe. « Ça m’a rendue enragée de voir comment une femme pouvait se laisser malmener », confiait-elle. Son goût pour la lecture lui vient de son oncle, « un homme extraverti » qui lui donnait des livres – « ce qui était interdit, j’ai toujours lu en cachette » –, et lui payait des cours de danse. « J’ai découvert la sexualité sur le tard, à travers les livres et parce qu’on a vécu dans un hôtel de passe à Montmartre » à Paris, s’amusait cette grande séductrice.
C’est sur les planches qu’elle fait ses premiers pas – elle jouera dans une soixantaine de pièces tout au long de sa carrière. En 1946, elle rentre comme auditrice au Français. Elle se fait remarquer quelques années plus tard alors qu’elle joue le rôle d’une prostituée dans la pièce d’André Gide « Les Caves du Vatican », mise en scène par Jean Meyer en 1950.
Un an plus tôt, elle entame une carrière au cinéma, avec « Dernier amour », de Jean Stelli, sorti en 1949. La même année, Jeanne Moreau se marie avec l’acteur et réalisateur Jean-Louis Richard et donne naissance à leur fils, Jérôme, avant de divorcer en 1951. Plus tard, son ex-époux devient le coscénariste attitré de François Truffaut, sous la direction duquel Jeanne Moreau tournera, en 1962, Jules et Jim, l’histoire d’un triangle amoureux tragique. Elle y chante « Le Tourbillon de la vie » et incarne une amoureuse affranchie, emblématique des héroïnes modernes qu’elle va régulièrement camper pour le cinéma.
Mais c’est avant sa rencontre avec le réalisateur des « Quatre cents coups » qu’elle joue un rôle décisif pour sa carrière, celui d’une amante complice du meurtre de son mari, dans « Ascenseur pour l’échafaud », de Louis Malle, sorti en 1957.
Les années 1960 sont fastes et assoient son statut de star internationale. Elle tourne « Le Procès » (1962), sous la direction d’Orson Welles, avec qui elle tournera de nombreux films, dont « Une histoire immortelle ». Fidèle à ses metteurs en scène, à qui elle a apporté sa confiance avant qu’ils n’entrent au panthéon des cinéastes, elle retrouve Louis Malle pour « Les Amants » (1958), « Le Feu follet » (1963) et « Viva Maria ! » (1965). Arborant une chevelure blond platine, elle se transforme pour les besoins du film de Jacques Demy « La Baie des Anges » (1963), où elle incarne une flambeuse doublée d’une femme fatale.
Tout au long de sa carrière, elle s’entoure des plus grands réalisateurs, comme Bunuel, dans « Journal d’une femme de chambre », Antonioni dans « La Notte », Losey dans « Eva » ou, plus tard, Wenders dans « Jusqu’au bout du monde ». En 1974, elle donne la réplique à Gérard Depardieu et Patrick Dewaere, dans « Les Valseuses », de Bertrand Blier. Le film fait scandale.
Multiples récompenses
Deux ans plus tard, elle passe à la réalisation, avec« Lumière », un film sur l’amitié féminine dans lequel elle se met en scène au côté, notamment, de Lucia Bosé, sa partenaire dans Nathalie Granger. Dans ses autres films et documentaires, elle rend hommage aux actrices de son époque.
En 1992, elle reçoit le César de la meilleure actrice pour La vieille qui marchait dans la mer, un film réalisé par Laurent Heynemann. Lauréate du prix d’interprétation féminine 1960 à Cannes pour Moderato cantabile de Peter Brook, elle fut la seule comédienne à avoir présidé deux fois le jury de ce festival, en 1975 et 1995. Elle y a aussi été plusieurs fois maîtresse de cérémonie. En 1998, elle obtient un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, ainsi qu’un César d’honneur en 1995. Plus de dix ans plus tard, elle reçoit un « Super César d’honneur » lors des César 2008.
A la veille de ses 80 ans, elle reconnaissait avoir vécu dans son métier des moments de passion qu’elle n’avait pas vécus dans sa vie. « On dit toujours qu’en vieillissant les gens deviennent plus renfermés sur eux-mêmes, plus durs. Moi, plus le temps passe, plus ma peau devient fine, fine… Je ressens tout, je vois tout », notait-elle avec son phrasé inimitable.
Le Monde.fr avec AFP | 31.07.2017 à 11h06 • Mis à jour le 31.07.2017 à 12h36