La Nanar de Mai 2013_ LA BRIGADE EN FOLIE

  • Mis à jour : 30 mai 2014

Bon c’était le départ de l’hiver et l’arrivée du printemps (enfin !). Mais non, voilà que l’hiver revient ! La courbe du chômage n’a jamais été aussi haute. Les entreprises s’effondrent. La cote de nos élus n’a jamais été aussi basse. Bref, c’était pas le moment de vous faire peur , de vous attrister (bien que dans ce domaine, les nanars sont souvent navrants). Nous avons donc pensé qu’il vous fallait une bonne comédie bien française (préférence nationale), car il y a pas de raison d’aller chercher des nanars à l’extérieur quand on peut faire aussi mal chez nous.

LA BRIGADE EN FOLIE
Extrait de Nanarland - Nikita :

Les années 1970 eurent décidément des effets inattendus sur le mental de nos acteurs culturels. Jean-Luc Godard tournait des films politiques ; Ringo Willy Cat était une star de la chanson ; Philippe Clair devenait un réalisateur à succès. Oui, car cette « Brigade en folie » que nous traitons ici, ce n’est pas n’importe quel film : c’est une sorte de quintessence de l’humour français seventies à son niveau de n’importe quoi le plus élevé. Un scénario de bande dessinée au rabais, torché en cinq minutes après une muflée au sidi-brahim de contrebande, mis en image à l’arrache et porté par des comédiens en état de free style total. C’est beau, c’est grand, c’est du Philippe Clair sous acide !
Sans atteindre (c’est du moins mon opinion personnelle) les cimes qu’il devait escalader joyeusement avec « Le Führer en Folie », le psychopathe de Bab-El-Oued établit une sorte de record sur l’échelle du je-m’en-foutisme, filmant son récit dans un tel désordre que deux visions peuvent ’d’avérer nécessaires pour comprendre ce qui peut en être compris (c’est-à-dire pas grand-chose). Le scénario sort tout droit d’une mauvaise BD franco-belge des années 1960 : les milliardaires faisant tous passer leur argent en Suisse (tout correspondances avec des personnages existants , etc... etc...), les Etats n’ont plus rien à prélever et les truands plus rien à voler. Le gouvernement français délègue donc les deux meilleurs agents de sa Brigade Financière, les Commissaires Richard et Grospèze, interprétés respectivement par Jacques Dufilho et Sim

Le syndicat des truands, de son côté, envoie un gangster pied-noir (Philippe Clair lui-même) et son assistant demeuré (Patrick Topaloff). Nos deux équipes concurrentes vont s’nfiltrer à Saint-Flouz, lieu de villégiature des milliardaires, pour essayer de découvrir la filière par laquelle l’argent passe en Suisse.

Oui, vous avez bien lu, il y a UNE filière. Pour faire passer TOUT l’argent de TOUS les riches en Suisse. Et la Brigade Financière comme les truands, qui devraient pourtant s’y connaître un peu, n’ont absolument aucune idée de la façon dont elle fonctionne. On sent que Philippe Clair a dû lire les deux premières pages d’un « Que sais-je ? » sur la finance internationale, avant de l’oublier dans le métro et de se lancer sans documentation supplémentaire dans la rédaction de son scénario.

La méthode des flics et des truands pour remonter la filière est simple : s’infiltrer dans la station de Saint-Flouz et se faire passer pour des milliardaires afin d’entrer dans la confidence. Ici, « La Brigade en folie » démontre l’une de ses principales caractéristiques : la figure dite de « la roue libre ». Nous sommes en effet en présence de ce qui doit être la plus belle collection de cabotinages d’acteurs totalement livrés à eux-mêmes et, visiblement conscients de ce qu’on leur fait jouer, nullement soucieux d’améliorer le niveau global du film. Dire de Jacques Dufilho et Sim qu’ils font n’importe quoi tient de l’euphémisme cordial tant leurs mimiques s’accumulent au mépris de toute vraisemblance et de toute utilité. Les autres comédiens ne sont pas en reste, qu’il s’agisse de Pascale Roberts en demie-mondaine, de Philippe Clair en gangster d’opérette ou de Patrick Topaloff, qui charge tant son rôle de crétin qu’il finit par piquer la vedette à tout le monde

Toute la force conceptuelle de « La Brigade en folie », ce qui contribue à en faire un objet filmique plus que précieux, tient dans les deux niveaux de la non-fonctionnalité des gags. Le film est non-drôle en deux couches : le premier degré de sa médiocrité tient dans la nullité intrinsèque des gags ; le deuxième tient dans le commentaire qui en est fait par les personnages AVANT et APRES, sapant doublement les effets comiques pour ce qu’ils pourraient avoir de vaguement efficace.
Précisons tout de même qu’un tel film peut susciter des envies de meurtre chez le spectateur dont les défenses immunitaires anti-comédies nanardes seraient trop développées. Un examen médical est donc à conseiller avant de se risquer au visionnage de « La Brigade en folie ».

A noter une petite particularité sur ce film : Philippe Clair semblait avoir développé à l’époque une sorte de fétichisme de la mousse, tant les personnages se trouvent fréquemment recouverts de mousse d’extincteur, de mousse de savon, ou de n’importe quoi qui fait des bulles. Soit l’auteur croyait avoir découvert une nouvelle panacée hilaro-poilante, soit le beau-frère du producteur avait des actions dans une entreprise de mousse à raser.

La cerise sur le gâteau est amenée par l’apparition de Marcel Zanini, grand responsable de la filière d’argent sale (on y croit !), dont les quelques scènes sont l’occasion de moments intensément nanars. Le même Zanini déclara plus tard dans une interview que, sur le tournage, la plupart des acteurs étaient comme en vacances en Suisse et ne se souciaient pas du tout du film. C’est bizarre, ça ne se voit pas du tout.

En fin de compte, la vision de « La Brigade en folie » n’est à conseiller qu’aux spectateurs les plus résistants : si vos nerfs tiennent, vous vivrez un voyage profondément unique aux frontières du cinéma comique le plus crypto-démentiel. Sans rime ni raison, tout entier porté par la démence d’un Philippe Clair totalement oublieux des usages les plus élémentaires du cinéma de qualité, ce film réinvente, en même temps qu’il l’enterre, la comédie populaire française, laissant loin derrière « Mon curé chez les nudistes » et même « Mon curé chez les thaïlandaises », pour ne rien dire des meilleurs films de Jean Lefebvre, relégués au rang de vieilleries conventionnelles. Du pur cinéma conceptuel, à voir pour ne pas le croire. Vous planerez ou vous craquerez, ça passe ou ça casse ! La dantesque poursuite finale, digne des pires sketches de Benny Hill, est l’un des moments les plus psychotroniques du comique français bas de gamme